Interview d’ MC metis / Directeur artistique de la Compagnie Trous D’Mémoires – Propos recueillis par Mômes du Monde.
Artiste militant, tu mets ta poésie au service des enfants, peux tu te présenter et nous parler de ton association “Compagnie Trous de Mémoire” ?
C’est une association qu’on a montée avec un ami travailleur social, avec la volonté de créer de la matière artistique (spectacles, ateliers, chansons, clips…) à partir de la Mémoire. Particulièrement des mémoires oubliées, qui se sont tues, qu’on a fait taire… donc les mémoires ouvrières, féminines, de l’immigration. On s’inscrit dans le champ de l’Education Populaire, et à la fois on fait de l’art, vraiment. C’est pas juste donner des papiers crépons à des enfants pauvres, l’art populaire. C’est faire de vraies belles choses, avec du sens. Les deux sont importants et indissociables.
D’ailleurs, on ne bosse pas qu’avec des enfants. C’est la majorité de notre public, mais on a aussi des adultes, qui peuvent être les parents des enfants justement, ou bien on travaille aussi en prison, (pour mineurs et/ou pour majeurs), et avec des artistes adultes qui sont intéressé-es par nos projets.
On est basés dans le Nord de la France, du coup on bosse beaucoup dans toute la grande région (Maubeuge, Lille, Valenciennes, Arras,…), mais également un peu en dehors, dans le reste de la France. On a des projets à Strasbourg, Marseille, et en Bretagne également.
Qu’essayes tu de transmettre à ces enfants et en quoi est-ce important pour toi et pour eux ?
D’abord, tout est ludique. On essaye de faire en sorte que nos interventions ne soient pas trop scolaires, pour ne pas perdre les gens qui ont justement du mal avec le système scolaire, qui n’y sont pas épanoui-es. Ensuite, on transmet surtout des méthodes, plutôt que des savoirs. Je veux dire, dans un atelier rap par exemple, quand j’apprends à un gamin à poser son texte dans la mesure, c’est beaucoup moins important que de lui avoir appris à prendre un stylo, créer du sens, poser sur un papier ce qu’il avait dans la tête, sur le coeur, dans les tripes. Ils le savent bien, mais c’est des choses que je ne dis pas forcément, on est dans le suggéré, l’idée c’est qu’ils comprennent, qu’ils prennent confiance en eux, sans vraiment leur marteler.
Après, on a souvent des commandes pour bosser sur un thème précis (la Mémoire la majorité du temps, mais ça peut être aussi large que le racisme, les addictions…), et du coup là, on échange, on discute beaucoup. On s’enrichit les un-es les autres. Ça fait très bateau peut-être de dire ça, mais moi j’apprends énormément. Professionnellement, en tant que pédagogue, en tant qu’artiste, et en tant qu’humain. On est vraiment dans le « each one teach one. » D’ailleurs c’est déroutant quand on bosse dans le cadre scolaire parce qu’il y a toute une partie de nos interventions qui ne produisent absolument rien de « concret ». On parle, on discute. Ce qui ne se fait jamais à l’école, on ne prend jamais le temps, parce qu’on ne l’a pas. Nous on vient, et on l’impose. On a le temps. On le prend. Et ça produit des choses assez folles, dures psychologiquement parfois parce que quelqu’un qui n’a jamais la parole, quand il la prend… ben c’est bouillant quoi, et ça vient de loin ! Mais tant mieux, c’est aussi à ça qu’on sert.
L’art comme moyen d’expression peut-il selon toi aider l’enfant à s’épanouir ? Comment ?
En fait c’est pas « selon moi, » parce que ça voudrait dire « ouais c’est ce que je pense, vraiment on peut le faire. »
Nan, c’est sûr, et certain, qu’on peut changer des vies avec l’art. On fait monter sur scène des gamins, qui disent devant un public les superbes textes qu’ils ont écrit eux-mêmes, avec le fond et la forme dedans… alors qu’en temps scolaire ils ont du mal à juste prendre un stylo où à s’asseoir sur une chaise. On fait sortir dans les textes des histoires de mutilation, de viols, des deuils non-dits… là où les professionnels du travail social sont parfois démunis. Et attention hein, c’est pas parce qu’ils sont pas bons, ils sont vraiment « démunis »… on supprime les postes, ils n’ont pas de moyens, sont pas forcément toujours bien formés et/ou « contrôlés » dans le bon sens du terme.
Alors oui, nous on peut être un pansement. C’est pas la solution à long terme, mais parfois y’avait juste besoin d’un pansement. En général, non… on vient juste mettre le pansement, tout le monde kiffe parce que ça saigne plus, mais dès qu’on a le dos tourné ça repart de plus belle… donc, évidemment, c’est pas avec des ateliers de pratique artistique qu’on émancipera ou épanouira tous les jeunes défavorisés de France. Faut bien en être conscients.
La Culture et ce devoir de mémoire sur lequel tu travailles avec eux, y sont-ils réceptifs ?
Oui, mais à différents niveaux. Ça dépend toujours. Si on arrive dans une structure où les gamins n’ont jamais travaillé la question, c’est pas pareil que quand il y a une vraie dynamique là-dessus. Nous, on a des jeunes qu’on suit directement via l’asso et sans intermédiaire, là oui bien sûr. Mais on n’arrive pas non plus comme un cours d’Histoire en mode « Salut on va vous raconter l’histoire des tirailleurs sénégalais ! »
On essaie de partir des jeunes, la majorité du temps c’est leur histoire à eux qu’on raconte. On est en train de bosser, du côté d’Hénin-Beaumont, sur un spectacle qui s’appelle « Lettre à Nos Mines », où une douzaine de petits-enfants de mineurs algériens racontent l’histoire de leurs grands-parents. Ben ils ont mené les entretiens, écrit la trame artistique, le contenu des textes, les mélodies de voix… On est quatre artistes pro à bosser là-dessus (Nawel Ben Kraïem, Malik Berki, Afid Zekhnini et moi), et on s’occupe « juste » de donner de la forme à tout ça. Pour moi ça aurait moins de sens de les faire travailler sur quelque chose qui ne les concerne pas directement, même si c’est également important que tous les Français-es connaissent leur Histoire, parce que ça, c’est l’Histoire de France. Mais on part d’un principe simple : ce sont les premièr-es concerné-es qui racontent leur Histoire. Personne à leur place, et sûrement pas nous.
Quels sont tes projets à court, moyen, long terme ? De quelle façon peut-on soutenir ton association et que peut-on te souhaiter ?
À court terme, personnellement, je vais consacrer cet été à mon nouveau projet musical, parce qu’à la base je fais du rap. C’est super de faire de l’action culturelle, mais en attendant je n’ai pas sorti d’album depuis 2012 !
Ensuite, du point de vue de l’asso, la saison 2016-17 va être chargée parce que tous nos projets ont bien marché donc on renouvelle tout : les ateliers, le ciné-débat qui va devenir mensuel, les Block Parties rurales, le séjour annuel « Culture & Mémoire »… ; À côté de ça on lance une grande campagne d’ateliers et de créations sur le thème de la Lutte contre le Racisme ; on fait aussi partie d’un collectif d’associations et d’institutions qui se sont réunies pour mettre en place un plan de Lutte Contre les Discriminations (racistes, sexistes, sociales, au handicap…) sur l’agglomération de Maubeuge ; et enfin on a le projet « Lettre à Nos Mines » à terminer pour juin 2017, et sensiblement le même projet à exporter sur le territoire de Maubeuge. Ouf ! Vivement !
Merci Ismaël de nous avoir accordé de ton temps et une très belle continuation à toi.
c’est EUX, c’est nous, c’est DEMAIN
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